samedi 27 septembre 2008

Ces regards qui me troublent

Me concentrer sur ma respiration, de ne pas y penser.

Dès que j’arriverai sur la ligne d’arrivée, je lui dirai que c’est terminé. Elle était si jolie dans sa petite robe bleue, la première fois que je l’ai vue! Elle avait un de ces sourire qui qui vous faisait oublier tout le reste. Je me serais perdu dans son regard d’un vert intense pendant des heures, je m’en serais nourri si ça avait été tout ce dont mon corps aurait eu besoin. Lorsqu’elle m’a dit qu’elle m’aimait bien, j’ai cru que mon cœur allait cesser de battre, là, maintenant, tellement la sensation que j’ai ressentie alors était fulgurante, tel un éclair sorti de nulle part en pleine canicule de juillet.

Et puis il y avait sa fougue à défendre ses convictions. Toutes les causes, pour elle, méritaient une attention toute particulière. Le nombre d’évènements auxquels elle avait participé pour sauver la planète ou tel animal en voie d’extinction m’impressionnaient, et je pouvais facilement l’écouter me raconter toutes ses aventures pendant des heures sans jamais me lasser. De jour en jours, je tombais un peu plus pour cette belle activiste au rire charmant.

Lorsqu’elle m’a demandé si je voulais participer avec elle à son prochain évènement, quelques jours à peine après le début de notre relation, j’étais aux anges. Elle m’invitait à entrer dans son univers, et je jubilais à l’idée de pouvoir lui démontrer que, moi aussi, j’avais des convictions. J’ai donc noté la date et l’heure exacte du rendez-vous, un après-midi chaud du mois d’août, pour une simple balade à vélo au centre-ville pour militer pour l’environnement et dénoncer la surconsommation de pétrole. J’aurais dû me douter que rien n’est jamais aussi simple.

Impossible d’ignorer les regards de tous ces passants curieux et amusés posés sur moi. J’ai beau pédaler plus vite, je sais que cela ne changera absolument rien. Tout est ma faute ; j’aurais dû poser plus de questions. Mais ma passion aveugle pour cette fille que je connaissais à peine m’a fait oublier tout le reste, et je lui ai accordé mon entière confiance, sans jamais me douter que cela pourrait me mettre dans une pareille situation.

Je me sens pathétique, ridicule et humilié. Je n’ai pas osé me dérober à la dernière minute et pourtant, je sais que j’aurais dû, que vu la situation cela n’aurait été que légitime. Je ne sais pas si c’est mon ego qui m’a fait aller jusqu’au bout ou si, à cet instant précis, je croyais encore pouvoir rester en relation avec elle malgré tout. Maintenant, au moment même ou je croise le regard de mes collègues de travail, assis sur une terrasse de la rue St-Denis, je sais qu’un avenir entre elle et moi n’est plus possible.

Je le jure, c’est la dernière fois que je participerai à une ballade à vélo nu en pleine ville pour les beaux yeux d’une fille, même si cela pouvait repousser la destruction terrestre d’une centaine d’année.

Le monde vu d'en haut

Mes pieds qui se balancent dans le vide.

Au fil du temps, cet arbre et cette colline sont devenus les plus fidèles confidents de mes solitudes de plus en plus fréquentes. Combien de fois me suis-je assis contre cet arbre, au sommet de cette colline, surplombant cette Ville rendue trop grande pour moi, cette Ville, qui au départ était promesse de libertés et de recommencement, rapidement devenue source de mes angoisses les plus ancrées, cette Ville où tout n'est qu'illusoire, que masque figé sur tout ces visages anonymes qui, jours après jours, se croisent sans même se voir.

D'ici, Elle ressemble à une immense fourmillière. Il y a les ouvrières, passants pressés de se rendre à une destination qui n'existe pas vraiment, qui travaillent pour vivre et ne vivent que pour travailler, aspirés dans ce tourbillon qui, semble-t-il, ne prendra fin que lorsqu'ils seront assez vieux et abîmés par le temps pour se rendre compte qu'au fond, ils n'auraient jamais vécu que pour quelqu'un d'autre. La reine. L'argent.

À travers ce smog épais et puant, il me semble n'avoir jamais eu de vision aussi claire. Il m'aura fallu 45 ans pour ouvrir les yeux, comme si à la naissance on m'avait posé un bandeau de fausses vérités qui m'ont fait croire tout ce qu'on voulait que je crois, qui ne m'a laissé voir que ce que devrait être la vie. Un boulot, un mariage fastueux avec une femme que je n'aurai au fond jamais connue, une maison, des enfants...De tout cela ne me reste qu'un patron despotique, un divorce coûteux, une hypothèque trop chère et des enfants qui ne me parlent plus.

Je suis donc là, au sommet de cette colline, mes pieds se balançant dans le vent, cognant parfois contre cet arbre, mes yeux palissants et exorbités par une vision trop soudaine et trop limpide, fixant à jamais l'image de cette Ville trou-noir.